Ubérisation, économie de partage... Finalement l'économie collaborative c'est quoi ?

Ubérisation, économie de partage... Finalement l'économie collaborative c'est quoi ?

  /   par David Frade

Accusée par certains d’augmenter le nombre de travailleurs précaires, décrite par d’autres comme un formidable facteur de croissance, l’économie collaborative trouve aujourd’hui autant de détracteurs que d’adeptes. Secteur extrêmement dynamique en France, l’Hexagone se positionne comme l’un des pays les plus innovants en la matière avec des entreprises mondialement connues comme BlaBlaCar, Videdressing ou encore le Bon Coin. Mais alors que le législateur peine à proposer une réglementation qui contente le plus grand nombre, revenons sur les réalités de ce nouveau mode de consommation alternatif qui vient titiller l’obsolescence programmée du tout puissant système capitaliste.

“Uberisation de la société”. Ce néologisme, utilisé pour la première fois par Maurice Lévy lors d’une interview accordée au magazine américain Financial Times en décembre 2014, fait trembler certaines corporations séculaires qui voient leur monopole se déliter dans plusieurs secteurs (transports, tourisme, restauration…). Néanmoins, réduire l’économie collaborative à une vision manichéenne de passation de pouvoir entre de vieux rois capitalistes, adorateur du saint-argent et de nouveaux prétendants bien intentionnés armés de baskets et de smartphones, ne suffirait pas à définir ce nouveau modèle. Tout simplement parce qu’il n’existe pas qu’un seul modèle d’économie collaborative, mais plusieurs. D’un coté, les entreprises utilisant le collaboratif comme mode de fonctionnement commercial, mais préservant le modèle capitaliste en ce qui concerne les bénéfices générés, et de l’autre l’économie de partage, dites de “pairs”, qui permet à chaque utilisateur de contribuer et d’en tirer profit.

L’économie collaborative au service du capitalisme

Le premier cas est celui qui fait référence à cette fameuse uberisation de la société. Uber, Airbnb ou encore BlaBlaCar, autant d’entreprises au modèle commercial dit “collaboratif”, mais dont les bénéfices sont reversés à leurs actionnaires. L’outil de mise en relation, nommé algorithme, possédé par l’infrastucture mère (l’application en somme), permet l’utilisation maximum d’un capital non-exploité et déjà existant. Il est donc difficile pour les entreprises en place, ayant dû réaliser de gros investissements de départ, de rivaliser en termes de tarifs avec ces sociétés qui ont pour seuls coûts les frais de fonctionnement de leur application et la publicité. Jeremy Rifkin, économiste américain, parle même de “coût marginal zéro”. Dans ce mode de fonctionnement, il y a peu de possibilités émancipatoires pour les utilisateurs qui constituent l’offre de ces plateformes, et les chances d’y faire fortune sont très minces. On parle dans ce cas de capital extractif, c’est à dire que les propriétaires de l’outil de mise en relation captent 100% de valeur marchande produite sans redistribution aux contributeurs. On est pour l’instant bien loin des valeurs de partage et d’entraide prônées par ces sociétés. Certains chauffeurs Uber se plaignent même de devoir travailler 70 heures par semaine pour toucher un salaire qui avoisinerait 1200 euros nets… De plus, ces entreprises voient de plus en plus leurs plateformes utilisées par des professionnels qui s’en servent de support de communication ou d'outil de mise en relation avec des clients potentiels. C’est le cas notamment de Airbnb qui voit de plus en plus de complexes hôteliers annoncer sur son site.

Le coopératif et le partage au service de la communauté

A l’instar de ces grandes multinationales de l’économie collaborative, il existe de réelles coopératives qui réunissent la contribution de plusieurs dizaines, centaines voir milliers d’utilisateurs qui mettent à disposition de tous, les ressources produites par chacun. Cette économie, appelée de “partage” ou de “pairs”, affiliée à l’économie sociale et solidaire, a été définie ainsi par l’ancien chef d’entreprise belge, aujourd’hui essayiste et spécialiste du thème de l’économie “peer-to-peer”, Michael Bauwens qui concentre sa réflexion sur la distinction entre ce modèle économique et l’uberisation précedemment citée. Le premier exemple de réussite mondiale de cette économie de partage, c’est Wikipédia. Parfois oubliée en tant qu’acteur majeur de ce modèle, l’encyclopédie participative mise en ligne en 2001 est éditée dans plus 270 langues différentes (source: futurascience.com) ! Uniquement financée par mécénat ou par les dons d’internautes, Wikipedia est l’un des sites les plus consultés au monde à but non lucratif. Ce modèle économique est largement répandu depuis une dizaine d’années sur internet qui fourmille de logiciels certifiés open source (logiciels libres d’être utilisés, modifiés et améliorés par tous les internautes).

S’il peut prendre une envergure internationale grâce au web, le modèle d’économie du partage s’installe aussi localement à l’initiative des collectivités ou des municipalités. Ainsi, le modèle a été adopté par la ville de Paris depuis le début des années 2000, qui a successivement proposé aux franciliens un système de partage de vélo (Vélib’) et de voiture (Autolib’). Après avoir essuyé de nombreuses critiques à leur lancement, le partage de vélo à largement été démocratisé dans plusieurs villes françaises (Lille, Lyon…) et européennes (Berlin, Amsterdam…). La maire de Paris envisagerait même d’élargir le dispositif aux scooters, dont la phase de test serait en cours. Un moyen bon marché et écologique de se déplacer dans la capitale. Enfin, à l’initiative de particuliers, de nombreuses coopératives locales sont créées chaque jour en France, à l’image de la Recyclerie à Paris. Cet ovni économique propose à ses adhérents de s’occuper d’une ferme collective ou encore de faire réparer son électroménager afin de lutter contre l’obsolescence programmée, argument principal mais toujours dissimulé d’un capitalisme qui peut trembler devant la nouvelle détermination des citoyens à consommer différemment.

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