Interview de Frédéric Lefèbvre:

Interview de Frédéric Lefèbvre: "L’économie du partage, dans laquelle votre startup s’inscrit, est notre avenir"

  /   par David Frade

Candidat aux primaires des Républicains, Frédéric Lefèbvre a fait du revenu universel l'un des arguments phares de sa campagne. Tandis que la Suisse refuse l'idée par référendum et que la Finlande soumet l'idée à une série de tests d'envergure, le député de la 1ère circonscription des français à l'étranger  est l'un des plus fervent défenseurs du sujet, appellant même à dépasser les clivages gauche-droite pour promouvoir ce projet. Nous l'avons rencontré afin de comprendre ce à quoi correspond l'idée d'allocation universel en France. 

Idée très médiatisée, le revenu universel rassemble parfois un grand nombre de concepts différents. Parfois même, la définition dépend du pays dans lequel vous êtes. Pourriez-vous expliquer à nos lecteurs en quoi cela consiste ?

"Le revenu universel est le remplacement de l'assistanat généralisé par une solidarité active. Il consiste à verser chaque mois une allocation à tous les Français, qui remplace toutes les autres allocations qui existent. Et ce sans conditions et sans aucune contrepartie, dès la naissance.

Je travaille sur des scénarios de 800 à 1000 euros par mois pour donner à chaque personne le moyen de reprendre la main sur son destin. Elle est cumulable avec les revenus du travail ou du capital. Elle incite donc à prendre une activité."

A quel contexte économique, social et politique répond le revenu universel ?

"Le revenu universel est une proposition qui répond aux enjeux d’un siècle nouveau, le XXIème siècle, un siècle de défis, de mutations mais aussi un siècle d’espoir. Notre modèle social français est à bout de souffle, crée des inégalités, du chômage et une pauvreté grandissante. En 40 ans nous sommes passés de 400 000 à plus de 6 millions de chômeurs, les déficits se creusent à près de 74 milliards d’euros et il y a plus de 8,5 millions de pauvres. Le taux d'endettement est à 97% contre 20% en 1974. Dans moins de 10 ans on ne pourra plus payer les retraites. 

Depuis 40 ans, droite et gauche ont échoué à résoudre ces problèmes, il faut donc bousculer le système !

Le revenu universel serait un signe d’adaptation à ce siècle nouveau, au monde qui change, celui de la mondialisation, de l’absence du plein emploi et des carrières faites de ruptures. Il répond aux défis de la dépendance et de l'automatisation auxquels notre société est confrontée.

Il est plus que temps de dessiner cette nouvelle France que nos compatriotes attendent, une France adaptée au monde d’aujourd’hui. Je crois que le revenu universel pourra projeter la France dans cette modernité."

En donnant un revenu inconditionnel à tous les citoyens, ne décourageraient-on pas les chômeurs ou les personnes ayant un emploi pénible, d'aller travailler ?

"Au contraire. C'est le système d'aujourd'hui qui pousse à rester dans l'assistanat. Le seul moyen d’éradiquer la pauvreté, est d'inventer un nouveau modèle qui permettrait à chacun de se construire, de se former, de s’investir dans des projets et d’entreprendre. Le revenu universel n’éloignerait pas les gens du travail comme peuvent le craindre certains. Au contraire il les en rapprochera. Ainsi, le revenu universel permettra de combattre "les trappes à inactivité". Son versement permettra aussi de se passer du salaire minimum en basculant sur un revenu minimum et donc de stimuler l'emploi peu qualifié.

De surcroit, ce revenu inconditionnel sera un moyen de simplifier le marché du travail et de réduire le rôle de l'État tout en encourageant l’emploi. Il rendra aux Français la liberté de choix de leur formation, de leur travail et de leur investissement afin de leur redonner la main sur leur destin."

Ce projet ne va-t-il pas à l'encontre des contraintes de maitrise budgétaire des comptes publics ?

"C’est une nouvelle répartition pas de nouvelles dépenses ni de nouveaux impôts.

Ce projet est compatible avec ces contraintes budgétaires puisqu’il s’agit de supprimer tout ce maquis d’allocations ainsi que les administrations qui les gèrent. Aujourd’hui, au niveau local et national, le système coûte entre 35 et 42 milliards d’euros de coûts de gestion. Réformer devient une urgence ! Une des conséquences de ce projet sera donc de réduire la dépense publiques en désintermediant ainsi que de rendre équitable la protection sociale. Le système d'aujourd’hui est voué à la catastrophe. Bien sûr, pour l’instaurer correctement, il faut d’ores et déjà l’expérimenter. Nous pourrons le généraliser au bout de cinq ans pour que le revenu universel remplace toutes les allocations."

Député LR, anciennement UMP, l'idée de revenu universel ne va t-elle pas à l'encontre de la pensée libéraliste qui imprègne votre parti politique ?

"De grands économistes libéraux ont proposé cette idée, en particulier le prix Nobel d'économie Milton Friedman, ancien conseiller de Ronald Reagan,  qui présentait ce concept sous la forme d’un impôt négatif. Michel Foucault, philosophe classé à gauche, aussi. 

Ce concept est de loin préférable au système actuel des allocations existantes et permettra de réaliser des économies substantielles. Ce revenu universel restera une allocation et ne produira donc aucune désincitation au travail.

Le revenu universel est un concept qui rendra aux Français la liberté de choix de leur formation, de leur travail, du rythme de leur investissement pour eux-mêmes, pour leur famille et pour la société, afin de leur redonner la main sur leur vie. Il permettra également d’éradiquer la pauvreté en donnant à chaque individu, dès sa naissance, les moyens d’assurer sa propre subsistance tout au long de sa vie et de faire vivre le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille. Il faut dépasser le vieux concept du clivage droite/gauche aujourd’hui usé, les Français attendent des mesures concrètes pour enfin améliorer la situation de notre pays."

Pourquoi, selon vous, les Suisses ce sont-ils exprimé très majoritairement contre le revenu universel ?

"Le résultat de cette votation était prévisible. Un revenu universel à 2 300 euros, même si en Suisse le coût de la vie est supérieur de 60% en moyenne à celui de la France, ne pouvait que susciter la défiance. Mais 25% en Suisse à une telle votation, c’est déjà un exploit. Il y a peu, en Inde, où je travaillais sur la question, j’ai rencontré un Suisse qui a voté non à la réforme alors qu’il est pour le revenu universel. Il a voté non car il en trouvait le niveau trop élevé. C’est dire si le résultat est à nuancer ! Cette idée défendue par des libéraux comme par des écolos est adaptée à notre époque. Osons bousculer le système qui aujourd'hui capté à son profit l'argent social au lieu de le distribuer équitablement aux citoyens."

L'automatisation de l'emploi, la fin du CDI annoncée, le revenu universel... Autant de facteurs qui annonce de grands changements sociétaux et notamment l'émergence du travail libérale à temps partiel. Les sites comme celui des Débrouilleurs ne représentent-ils pas l'avenir de l'emploi ?

« La confiance sera la nouvelle monnaie du 21ème siècle » argumentait Rachel Botsman, qui est la pionnière de l’économie collaborative.

"L’économie du partage, dans laquelle votre startup s’inscrit, est notre avenir. Aujourd’hui, 41 % des Français ont recours souvent ou assez souvent à de la consommation collaborative. Le poids du secteur est passé de 3,5 milliards en 2012 à 15 milliards aujourd’hui, et devrait atteindre 335 milliards d’euros d’ici 2025 dans le monde.

C’est une prise d’autonomie des citoyens étouffés par le poids des charges et des réglementations, un mouvement planétaire même si dans notre pays le travail est découragé la résistance du vieux système est plus vive encore. Le digital et la débrouillardise font bon ménage et permettent de dynamiser notre système économique. Le mouvement s’amplifie, touche toutes les catégories sociales, toutes les activités. Livraison, co-voiturage, échange d’appartements, partage d’outils, propositions de services…

Le modèle est sans limite. Le citoyen reprend le pouvoir, échappe aux taxes, choisit l’autonomie. L’économie du partage est créatrice d’emplois qualifiés, permanents ou temporaires, mais durables. Ces emplois sont indispensables à notre société gangrenée par le chômage. L’économie du partage démocratise les services jusque-là réservés à des privilégiés : le transport individuel, les séjours à l’étranger, les services de livraison,… L’économie du partage doit faire prendre conscience à l’Etat qu’à force de tout taxer, qu’à force de tout règlementer, le citoyen cherche très justement à reprendre sa liberté. L’Etat devra s’adapter ou disparaître… J’ai choisi d’être l’un de ceux qui va l’aider à s’adapter justement, à se moderniser, à réinventer de nouvelles formes de contributions pour financer les services publics indispensables à notre bien-être collectif sans pour autant décourager le citoyen.

C’est dans cette perspective que j’ai organisé à l’automne dernier un colloque sur cette économie du partage qui nous amené à penser l’Etat de demain, moins étouffant, moins décourageant qui sache faire confiance à l’humain et à sa soif de modernité."

On voit mal le Frédéric Lefebvre qu'on connaissait entre les années 2000 et 2010, mener les combats que vous menez aujourd'hui. Qu'est ce qui a changé chez vous ?

"Comme quoi il faut creuser derrière l'image publique... Jacques Chaban Delmas dont j'ai été la petite main m'a appris que pour réformer il faut additionner les différences. 

La défense de l’intérêt supérieur du pays a toujours été au cœur de mon engagement politique. J’ai d’ailleurs été le théoricien et l'acteur de l’ouverture à gauche lors du quinquennat de Nicolas Sarkozy, preuve s’il en est que la volonté de dépasser les querelles droite-gauche a toujours été une ambition à laquelle je me suis consacré,  de même que j’ai été le recordman des amendements votés à l’unanimité !

Porte parole ma mission été de riposter à des attaques systématiques contre l'action de Nicolas Sarkozy. Je me suis fait la promesse que dans l'opposition je ne me comporterez pas ainsi avec le Président. Je tiens promesse. Les Français n'en peuvent plus des combats artificiels et cyniques qui n'ont comme utilité que de faciliter la prise d'un pouvoir dénaturé

Au lieu de se demander ce que vous pouvez faire pour eux, les politiques doivent se demander ce qu'il peuvent faire pour vous ! Au lieu de se comporter en suiveur qui se nourrissent des peurs il doivent se comporter en leader qui tracent la route.

Soyons dans la locomotive plutôt que dans le wagon de queue, adaptons nous à l’époque et au monde !"

OU
OU